Fondation de droit suisse reconnue d'utilité publique
Que peux-tu partager avec nous de ton expérience en tant que noire musulmane en Suisse ?
De manière générale, j’estime avoir un bon vécu en Suisse dans le sens où j’ai eu la possibilité de faire des choix de vie qui n’ont pas été limités ou influencés par mon appartenance ethnique, religieuse ou mon genre. J’ai vraiment pu grandir et m’épanouir dans une société qui me considère pour ce que je suis, c’est-à-dire un être humain avec ses qualités et ses défauts. Il est toutefois difficile de répondre à cette question sans évoquer le racisme. Oui, le racisme en Suisse existe et est très présent. Aussi loin que remontent mes souvenirs j’ai toujours eu affaire au racisme dans toutes ses formes et manifestations (à l’école, dans les espaces/services publiques, …). Quand j’étais plus jeune j’avais plus de peine à identifier des actes discriminatoires et aussi plus de difficulté à y faire face. Mais avec le temps et la multiplication des expériences négatives on apprend, on développe des stratégies et on forge sa personnalité de manière à ce que les épisodes que l’on vit/que l’on va vivre deviennent moins traumatisant ou que leur impact émotionnel soit minime. Ce qui est encourageant dans mon expérience personnelle c’est d’observer que ce sont mes qualités (mon comportement, mes compétences, etc) qui sont à l’origine de déconstruction de préjugés racistes que pouvaient avoir certains de mes interlocuteurs. Je crois fermement au fait que ce sont nos bonnes actions qui changent les fausses/mauvaises idées que des personnes peuvent avoir à notre égard. Aujourd’hui dans mon entourage (familial, professionnel ou amical) je ne me sens pas « différente ». Par contre, dans mon quotidien, il m’arrive de vivre des expériences assez humiliantes comme : être victime de profilage racial et de contrôle au faciès par les forces de l’ordre sans motif apparent, à l’hôpital certains patients qui arrivent aux urgences et refusent d’être examinés par la médecin « noire », etc. Ce sont des moments qui ne sont pas agréables à vivre, impossibles à éviter et difficile à prévenir. Je pense que la communauté noire musulmane est sous-représentée dans certains domaines et peut-être que si l’on investissait d’avantage ces espaces, nous pourrions y apporter un peu de couleurs et indirectement réserver un meilleur avenir à nos enfants.
Que peux-tu partager avec nous de ton expérience en tant que noire dans les communautés musulmanes ?
Je ne suis finalement qu’une nuance parmi la myriade de couleurs qu’il existe dans notre communauté. De par mes origines soudanaises, je suis tiraillé entre mon aspect physiques « 100% africain » et ma langue maternelle qui est l’arabe ; ma culture c’est un mixte des deux. Cela me rend davantage sensible au racisme anti-Noir que l’on retrouve dans la communauté musulmane et qui provient de vestiges des conquêtes arabes. Les idées reçues que l’on retrouve dans notre communauté sont souvent amenées par des immigrés d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Ce qui est désolant c’est de voir que des propos inadéquats soient perpétrés par des frère/sœurs de mon âge, qui comme moi sont des immigrés de deuxième, voire de troisième génération. Comme notre communauté musulmane reflète assez bien la réalité de la société multiethnique et multiculturelle qu’est la Suisse, j’ai espoir qu’avec le temps, la mixité permettra de dissoudre ce poison.
Comment vis-tu le mouvement Black Lives Matter ?
BLM ce n’est pas seulement un combat contre l’état ou contre une hiérarchie hermétique incapable de se remettre en cause. BLM c’est un mouvement qui permet de libérer la parole du racisme anti-Noir et donne l’occasion à chacun d’entre nous d’aller à l’encontre de nos propres mécanismes inconscients. Parce que même si l’on ne se considère pas comme étant « raciste », on a tous des stéréotypes vis-à-vis de telle ou telle communauté qu’il faudrait que l’on puisse déconstruire.